Édition de l’automne 2021

Les ateliers

Quinze étudiant·e·s issu·e·s de sept programmes d’études différents ont pris part à cette première édition des ateliers intersectoriels « Soigner son monde ». Invité·e·s à fictionnaliser un souvenir personnel afin de produire, en trois étapes, un ou plusieurs récits, ils et elles se sont prêté·e·s au jeu d’une création littéraire où souvenirs et fiction se contaminent.

Encadré·e·s par Nicolas Chalifour et Pascale Millot , les participant·e·s ont ainsi créé trois textes à partir du même motif, qu’ils et elles ont réécrits, retravaillés et étoffés au fil de six rencontres s’étendant de septembre à décembre 2021.

Les différents textes que vous pouvez lire ici sont le fruit de ce travail. Certain·e·s étudiant·e·s ont choisi de ne pas publier les leurs, d’autres n’ont soumis qu’un seul texte sur les trois ou ont décidé d’en publier deux ou trois, permettant au lecteur de lire, au fil de leurs récits, la démarche, la progression qui les a amené·e·s peu à peu à se détacher du souvenir brut afin d’élaborer un vrai travail de création littéraire.

Nicolas Chalifour est né à Québec en 1970 et vit à Montréal où il écrit et enseigne la littérature. Il est l’auteur de Vu d’ici tout est petit (2009), de Variétés Delphi (2012) et de Vol DC-408 (2019). Ces trois romans sont publiés aux éditions Héliotrope. Le quatrième est en chantier.

Les créations littéraires

Ghizlane Cherfeddine

Étudiante à la maîtrise en études cinématographiques

Bahia

« Le monde des adultes m’avait captivée avant de me renvoyer au sein de ma mère, comme un violent ressac qui m’aurait recrachée sur la plage, échevelée, ensablée et suppliante, confessant ma petitesse et vomissant mon innocence, le souffle saccadé, brisé par cette baille qui me retournait l’estomac. »

Benjamin Forget

Étudiant à la maîtrise en recherche-création

(R)attraper le temps

« Je reviens ici après tellement d’années. Ce n’est pas vraiment revenir, puisqu’« ici » n’a plus rien à voir avec ce lieu que je connaissais : un espace autrefois familier qui s’est transformé au fil du temps jusqu’à ne me laisser qu’un sentiment d’étrangeté, un malaise causé par l’écart entre ma mémoire et le réel. »

Julie Karmann

Candidate au doctorat en santé publique

Transformations

« Elle dévisse énergiquement les robinets de la douche dans laquelle elle entre en faisant claquer le rideau derrière elle. La vapeur noie rapidement toute la pièce. Deux minutes plus tard, elle réapparait, le visage rouge, ruisselant, sculpté par des paquets de mèches rousses. Elle n’est pas grande, son corps est voluptueux, tout en courbes. Ses cuisses et ses seins sont martelés de peau d’orange. »

Laurence Laneuville

Résidente en psychiatrie et étudiante à la maîtrise en recherche-création

Arrêts sur image

« Je monte à bord du 306. Je me retrouve sur le banc au-dessus de la roue arrière, ceux du fond sont tous pris. Je dois me recroqueviller en hissant mes jambes sur la coque de la roue. La banquette de vinyle au rembourrage mince rejette durement mon corps. J’appuie ma tête contre la fenêtre. Les autobus un à un se mettent en route, quittent le stationnement. Cinquante mètres carrés d’asphalte abandonné. Chacun se dirige quelque part, je ne sais où. Soudainement, ça me semble évident, quelque chose se passe ailleurs, sans moi. »

Lucie Palombi

Architecte et candidate au doctorat

La visite

« Je joue dans la cour. De mes yeux embués, je sonde prudemment les environs. Je crains que quelqu’un – qui sais-je ? – ne me vole mon trésor. Mon corps d’adulte se promène aujourd’hui dans les ruines de ce souvenir lointain. Pour retrouver la mémoire, il suffit d’arracher le lierre de la porte d’entrée, de gratter les fientes qui scellent le verrou de la cuisine. Alors nous y sommes. »

Le vol

« Dans la rue, une voiture jaillit à toute allure. Sur l’asphalte, un tapis de gaz d’échappement. Le conducteur, visiblement impatient, gare à la hâte le véhicule suintant. Deux roues mordent le trottoir pavé. La fumée se dissipe. Une vigie, perchée sur l’antenne du toit, signale l’intrus d’un râle rugueux. »

Clotilde Séjourné

Chargée de cours et candidate au doctorat en communication

Histoire de clowns

« Il s’empare du sac et étale devant lui les différents éléments du costume. Une liasse de billets de loterie perdants s’échappe d’une poche pour former un éventail coloré sur le carrelage terne du vestiaire. Il reste là un moment, le nez baissé, à les contempler. Il soupire. Puis, sans s’en occuper davantage, il commence à se préparer. »

Jingyun Song

Candidate au doctorat au Département des littératures de langue française

Au bord du lac

« Ne sachant où aller, l’homme se mit mis à errer, comme un fantôme, dans la ville. Un fantôme à la fois renfrogné et agité. Tout au long de sa déambulation, les fenêtres éclairées des logis suggérant le bonheur des autres le contrariaient. Il poursuivit sa route en flottant, jusqu’à ce qu’il arrive à la croisée des chemins. Pas loin, sur la droite, quelques arbres sombres remuaient légèrement. Derrière les arbres se trouvait un lac qui miroitait souvent au clair de lune, comme une déesse. Il devait bien connaître ce lac, car il accéléra le pas, souriant à peine, sans doute dans l’espoir d’admirer la déesse sous la neige. »

Olivier Tremblay

Candidat au doctorat en études cinématographiques

La traverse

« L’air était moite. L’ambiance commençait à se faire de plus en plus cochonne. Les princes du gym s’étaient mis en chest. Il y avait un code : quand un gars enlevait son t-shirt ou sa chemise et la rentrait dans son pantalon pour la laisser pendre en arrière, ça voulait dire qu’il cherchait à ramener quelqu’un le soir même. Quelqu’un de nouveau. Jamais j’aurais enlevé mon haut, j’étais trop pudique pour ça, mais bizarrement, je me sentais quand même à ma place là-bas. »